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« Vies rebelles », de Saidiya Hartman : de libres Afro-Américaines enfin mises en lumière

« Vies rebelles. Histoires intimes de filles noires en révolte, de radicales queer et de femmes dangereuses » (Wayward Lives, Beautiful Experiments. Intimate Histories of Riotous Black Girls, Troublesome Women, and Queer Radicals), de Saidiya Hartman, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Souad Degachi et Maxime Shelledy, préface d’Audrey Célestine, Seuil, « L’univers historique », 450 p., 25 €, numérique 18 €.
C’est un travail d’orfèvre que réalise Saidiya Hartman. Ciseler des destins à partir de ce qui manque dans les archives. Dans Vies rebelles, un ­essai inspiré qui allie la rigueur scientifique à la puissance de la littérature, la chercheuse américaine met en lumière la vie d’Afro-Américaines qui ont fui le Sud ségrégationniste de la fin du XIXe siècle et du début du XXe en espérant trouver liberté et dignité dans le Nord. Ces femmes, la société étatsunienne « envahie » par le racisme a tout fait pour qu’elles disparaissent, omettant parfois de consigner leur nom et finissant souvent par les « incarcérer (…) pour avoir eu des enfants hors mariage, pour avoir passé la nuit dehors, pour avoir de nombreux amants ou des relations intimes transgressant la barrière raciale ».
L’enseignante à l’université ­Columbia (New York) a dépouillé des milliers de pages de rapports d’enquête « qui, tous, présentent ces femmes noires comme un problème ». Parce qu’elles défiaient l’autorité, menaient leur vie comme elles l’entendaient et le pouvaient, certes. Mais surtout, simplement, parce que noires. Saidiya Hartman se penche sur une trentaine d’entre elles, comme sur quelques hommes avec qui elles ont vécu, quelques femmes blanches engagées dans le social, ainsi que sur le socio­logue afro-américain W. E. B. Du Bois (1868-1963), auteur des Noirs de Philadelphie (1899 ; La Découverte, 2019).
Mais, au-delà de ces cas individuels, c’est une « biographie sérielle de toute une génération » qu’elle compose – la deuxième ou troisième née après la fin officielle de l’esclavage en 1865. En creux se dessine le fonctionnement d’une jeune société où « la liberté en était encore à un stade expéri­mental », le ghetto apparaissant comme « la plantation étendue à la ville ». Dans un tel contexte, avance Saidiya Hartman, ne pas se conformer aux bonnes mœurs de la petite bourgeoisie blanche, ce n’était pas être une dépravée mais une « visionnaire » et faire œuvre d’un « radicalisme noir » en « refus[a]nt l’existence ingrate et servile écrite d’avance » pour soi.
Ainsi d’Ida Wells, qui, en 1884, refusa de « quitter sa place dans le compartiment “dames” du train » pour « aller s’installer dans le ­wagon ségrégué », et attaqua la compagnie en justice. D’Esther Brown, qui « haïssait » ses conditions de travail et « avait soif de beauté », elle qui avait décidé de se « créer une belle vie », sans mari, père ou patron sur le dos. « Mais une femme qui changeait d’emploi et d’amant comme de chemise, écrit Saidiya Hartman, était considérée comme immorale et risquait de devenir une menace pour l’ordre social (…). C’est peu ou prou ce que déclara l’inspecteur de police lorsqu’il arrêta Esther et ses amies. » Faute de preuve de travail, elle fut accusée, en 1917, de « vagabondage » et enfermée durant vingt-cinq mois.
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